Jouer vite : la vapeur et le métronome
- Le 05/10/2021 à 14:00
- Fondation Polignac - Paris
"Vivre vite" : Congrès de la Société des études romantiques et XIXémistes.
Descriptif ici.
Si la musique du XIXe siècle possède une veine intimiste cultivant le registre élégiaque et des tempi résolument lents, elle se caractérise simultanément par un goût pour la vitesse effrénée qui traverse tous les genres, depuis les valses et les galops endiablés du répertoire populaire jusqu’aux œuvres exaltant la virtuosité transcendante des interprètes. Qu’il s’agisse de divertir, d’éblouir par le spectacle du dépassement des limites physiques de l’instrumentiste, ou encore d’effrayer par l’angoissante fuite en avant d’un mouvement perpétuel lancé à l’arrachée (Finale Presto de la Sonate op. 35 de Chopin), « jouer vite » devient un marqueur de l’esthétique romantique.
On se propose d’interroger le rapport que cette esthétique romantique entretient à la vitesse par une double entrée. D’un côté, le XIXe siècle imagine la « musique à vapeur », notion tout à la fois fantaisiste ou fantasmatique (le « Concert à la vapeur » de Grandville en 1841, la machine à vapeur d’Euphonia de Berlioz, etc.) et néanmoins ancrée dans la réalité d’une époque imaginant une hybridation de l’instrument de musique et de la locomotive (orgue à vapeur de Sax, instruments décrits par Kastner, etc.). D’un autre côté, le XIXe siècle est celui du métronome, dont l’invention par Maelzel en 1818 constitue à la fois le symbole et le vecteur d’une nouvelle relation au temps. De même que la montre ou l’agenda s’imposent dans la vie sociale comme de nouveaux outils répondant à une temporalité « minutée et efficace », pour reprendre les termes du texte de l’appel, le métronome est un outil sans précédent de mesure et de contrôle de la temporalité musicale.
Alors faut-il opposer la vapeur, métaphore de la vitesse effrénée, et le métronome, souvent utilisé par les interprètes pour maîtriser le tempo, garder la mesure, et ainsi éviter d’accélérer ? On souhaiterait s’appuyer sur une série de textes du XIXe siècle consacrés au métronome, pour montrer qu’au contraire, cette invention est le symptôme d’une nouvelle relation au temps qui ne s’oppose pas à la vapeur. Trois hypothèses appelleront à être vérifiées à la lumière des sources d’époque : 1) Sur le plan performatif, ce nouvel outil permettrait d’envisager, de façon abstraite, des tempos plus rapides que les interprètes peuvent tenter de conquérir pas à pas. 2) Sur le plan pédagogique, son usage se mettrait au service du rendement (il permettrait un apprentissage « à toute vapeur »). 3) D’un point de vue pratique, il assurerait une accélération de la transmission même du mouvement, ce que confirme ou amplifie l’usage des métronomes électriques dans la seconde moitié du siècle.
Création du siècle de la vapeur, le métronome jouerait donc un rôle paradoxal dans l’accélération du temps musical, et incarnerait l’ambivalence d’une époque qui, pour des raisons tout à la fois économiques et philosophiques, cherche tout à la fois à accélérer le temps et à contrôler les cadences, à vivre vite tout en redoutant cette vitesse même.
Fondation Polignac 43 avenue Georges Mandel, 75016 Paris